Les croyances cauchoises perdurent
28 octobre 2021 — Culture et Patrimoine
À Saint-Pierre-en-Port, un lieu atypique retranscrit le mode de vie traditionnel de tout bon Cauchois. Il fait la part belle aux légendes et croyances fortement ancrées dans la culture locale.

Autrefois, le presbytère de Saint-Pierre-en-Port était habité par l’abbé Léon Vaguelet, célèbre curé guérisseur et exorciste de la région. Aujourd’hui, la demeure a trouvé un nouvel usage. Depuis 2017, elle abrite un musée dédié au mode de vie d’autrefois en Pays de Caux. Le lieu propose de remonter le temps lors d’une visite durant laquelle d’étranges phénomènes pourront être constatés. La Maison des Croyances, Vie d’Antan et Traditions du Terroir ne se contente pas d’exposer des pièces de collection. Entre légendes, actes de sorcellerie et pouvoirs attribués aux saints, elle cultive une part de mystère jadis indissociable de la vie de nos villages. Dès qu’un incident quelconque survenait, qu’il s’agisse d’un souci de santé ou de dégâts sur sa bâtisse, le mauvais œil était indubitablement suspecté. Le Cauchois répétait inlassablement : « Méfie-tai, méfie-tai toujou, méfie-tai enco… », car on n’est jamais trop prudent. Il disait aussi : « Faites attention aux j’teux de sorts ! » car les sorciers rôdaient en nombre. On prêtait notamment cette qualité aux bergers qui ne vivaient pas reclus comme leurs contemporains et avaient en outre le don de soigner leurs bêtes, et par extension les hommes et femmes qui osaient lui faire confiance.
Histoire
La Maison des Croyances a officiellement vu le jour en 2011 en investissant à l’origine l’ancien presbytère de la commune voisine, Sassetot-le-Mauconduit. Avec le soutien d’Alain Bazille, conseiller départemental du canton de Fécamp, quatre fondateurs ont impulsé sa création : Sylvaine Lebon, alors directrice de l’office de tourisme intercommunal, Jean-Paul Hervieux, connu pour ses différents ouvrages sous le pseudonyme Jean Duterroir, et un couple de collectionneurs, Joël et Yvonne Lemeunier. Les deux premiers ont récemment disparu mais l’aventure se poursuit. La Maison des Croyances, qui a désormais élu domicile à Saint-Pierre-en-Port, accueille chaque année de nombreux vacanciers. « Nous recevons des gens du coin, de région parisienne, des Hauts de France et de l’Est, mais aussi des étrangers de Hollande, de Belgique, d’Allemagne, de Grande-Bretagne… Et parfois de bien plus loin : Cambodge, Australie, États-Unis… », se plaît à énumérer Catherine Seyer, secrétaire-trésorière de l’association gestionnaire. « J’ai récemment assuré mes premières visites en anglais ! », plaisante-t-elle.
Intérieur
La Maison des Croyances entretient la mémoire cauchoise dans tous ses états, du plus « terre à terre » avec le matériel agricole dans la cour, au plus occulte en abordant des faits surnaturels tout droit surgis d’un autre temps. « C’est important de connaître ses racines, de savoir d’où l’on vient, ce qui n’empêche pas toutefois de se projeter », insiste Catherine.
Chaque pièce est dédiée à un thème. A l’étage, le public découvre une salle mettant à l’honneur la pêche à pied, sans oublier au passage les superstitions des marins. On apprend que les lapins ne sont pas les bienvenus à bord, ces rongeurs pouvant occasionner bien des dommages en jetant leur dévolu sur les cordages en chanvre ou sur la structure même des bateaux en bois. De même, le mot « corde » est à proscrire sur tout navire. Cette interdiction viendrait du temps où les mutins étaient pendus haut et court.
À deux pas de là, un cabinet de curiosités s’intéresse à la médecine. Si la vue des seringues aux longues aiguilles ne vous fait pas frémir, tremblerez-vous devant la fraise de dentiste de 1935 fonctionnant avec une pédale ? Une petite épicerie est modestement reconstituée à proximité, linge et confection sont présentés dans un autre recoin.
Une salle d’exposition temporaire met actuellement en avant des photos et cartes postales anciennes patiemment réunies par Joël Trépied, secrétaire-adjoint de l’association et historien du village.
Au rez-de-chaussée, une cuisine traditionnelle inviterait presque à goûter la soupe. En attendant le service, les dominos sont disposés sur un coin de table. Dans l’arrière-cuisine, laiterie et laverie se font face.
La cloche sonne au moment même où se dévoile la salle dédiée aux saints guérisseurs. Faut-il y voir un quelconque signe ? Dans cet ancien oratoire, le curé se recueillait pour prier et, en dernier recours, exorciser. De nombreux protecteurs étaient sollicités afin de soulager tous les maux : Saint Laurent pour les brûlures, Saint Clair pour les problèmes de vue, Saint Maclou pour les furoncles… Une tenue de communiante, d’un blanc immaculé, pourrait faire office d’apparition fantomatique au milieu de diverses tenues religieuses.
Une salle de classe des années 1950 est recréée. Le cadre est propice pour apprendre le parler cauchois et écrire à la plume.
Vient ensuite le moment tant redouté… et pourtant très attendu ! Il est temps de pénétrer dans la pièce consacrée à la sorcellerie. « Tout le monde n’ose pas y entrer, notamment les plus anciens », confie Yvonne Lemeunier, trésorière adjointe. Une sorcière se met à rire et le berger accusé de pratiques occultes n’est pas loin. La mise en scène a vocation à plonger le visiteur téméraire dans une curieuse affaire de sorcellerie qui s’est déroulée à Cideville en 1850. Dans la vitrine trônent une dagyde (figurine de cire) et une pelote de laine, utilisées toutes deux comme une poupée vaudou. Des feuilles de lierre de différentes tailles baignent dans l’eau bénite en vue d’identifier un sorcier. De nombreux faits étranges et autres coutumes sont alors évoqués. « Quand j’étais petite, on jetait nos ongles coupés au feu pour éviter qu’ils ne soient récupérés par quelqu’un de mal intentionné qui aurait pu nous envoûter en les enterrant dans un petit sac et en prononçant une incantation », se souvient Catherine. Elle ose alors se saisir d’un livre renfermant de lourds secrets magiques. Ce grimoire est aujourd’hui encore craint par certains, y compris Joël Lemeunier, vice-président : « Je peux le regarder de loin mais je n’y touche pas ». Au fil des pages, des formules plus ou moins effrayantes s’enchaînent. Pour n’en citer qu’une, le choix porte sur un conseil pratique pour résoudre un éventuel problème de calvitie : « La fiente de souris, mêlée avec du miel, fait revenir le poil, lorsqu’il est tombé, pourvu qu’on en frotte l’endroit avec cette mixtion. »
Extérieur
Le surnaturel peut être oppressant. Heureusement, le capital sympathie de nos trois guides du jour, bénévoles passionnés, dédramatise la situation et une petite partie de boules cauchoises est la bienvenue. Même à l’air libre, les croyances planent toujours dans l’atmosphère. Devant les bâtiments où l’on aborde la fabrication du pain et du cidre, des petits bouts de tissu s’agitent dans l’arbre à souhaits. Des chaussures de jeunes enfants sont déposées au pied du calvaire, pour les inciter à marcher avec plus d’autonomie.
Eul bouleû, ou bouloir, nous tend les bras. Chacun prend une boule, qui ressemble plutôt à un camembert, dans le but de s’approcher le plus du gâs, palet plus petit jouant le rôle de cochonnet. Mais quelle est donc cette orientation bizarre que prend ma boule, pourtant lancée avec le plus grand soin ? Je ne suis pas mauvais perdant… mais je suis sûr que c’est encore un coup de sorcier !
Infos pratiques
Vous souhaitez être ensorcelé par ce musée insolite ? Hâtez-vous ! Il sera ouvert vendredi 29, samedi 30 et dimanche 31 octobre de 14h30 à 17h30. Il entamera ensuite sa période de fermeture hivernale et ne rouvrira qu’en avril 2022. Seuls les groupes pourront le visiter au mois de novembre sur réservation.
Entrée : de 3,50 € à 5 €
Tél. : 02 27 30 46 04
Adresse : 18 rue de la Mairie à Saint-Pierre-en-Port